lundi 23 février 2015

Un Marivaux au goût sûr et âcre du désespoir.

L'illustre Luc Bondy, après nous avoir émerveillé avec son adaptation à l'allemande de Tartuffe, nous enchante moins avec sa reprise du grand classique de Marivaux : "La Seconde Surprise de l'amour".  
L'intrigue s'organise autour de La Marquise et du Chevalier, tous deux pleurant la perte de leurs conjoints. Ils partagent avec plaisir leurs peines et se rapprochent peu à peu...
Bondy nous propose tout d'abord une lecture (trop?) froide de la pièce, visible à travers la scénographie et les personnages. 

             La scène arbore un décor très sobre et nu: on n'y trouve qu'une passerelle et deux chapiteaux noirs positionnés sur un carrelage dans le même ton. Ce décor est éclairé par une lumière sombre, et, à l'occasion, par des portiques de néon blanc. La froideur de la passerelle affiche dès lors la couleur: le spectateur s'attend à une mise en scène bien taciturne; impression confirmée par le "rayon de soleil" qu'est l'actrice qui interprète la Marquise: Clotilde Hesme. 
Vêtue d'une longue robe , de noir de la tête aux pieds et coiffée de manière ébouriffée, elle transmet avec beaucoup de talent la situation psychologique de la Marquise, qui est dévastée par la mort de son époux. Cachée dans un des chapiteaux, elle pleure dès le début de la pièce la mort de son époux; durant toute la pièce, elle s'exprimera d'une voix chevrotante et désespérée. Voilà une actrice qui mérite bien son titre décerné par le prix du syndicat de la critique, qui la nomme meilleur comédienne pour son rôle dans cette pièce ci. Mais (car il y a toujours un mais), lorsqu'il s'agit de transmettre de l'espoir, de la joie, ou même de l'amour, c'est un échec cuisant. Le personnage est, même dans le dénouement ou "tout est bien qui finit bien" toujours triste et à l'air cruellement blessé. 
Un autre personnage, intimement lié à la Marquise, le Chevalier, dont le jeu rejoint étroitement celui de la marquise: toujours triste et renfrogné même dans les moments de triomphe. Celui ci est tout de même plus gai de la marquise: vêtu d’un pantalon jaune éclatant et d’une chemise très cintrée, il arbore un style dandy très pop des sixties. Mais l'état d'esprit du Chevalier, soit son caractère puérile visible à travers ses mimiques enfantines, ses bouderies et ses pleurs (qui pourrait même être interprété comme des caprices) offre une dimension ridicule au couple qu'il forme avec la Marquise.
On reprochera donc à Bondy une scénographie, une mise en scène déprimante qui rend le récit triste, voir tragique. 

             Mais au coeur de ce décor des plus triste côtoyé par des comédiens dans le même état d'esprit, un chemin de gravier blanc se faufile et fait office de lueur d'espoir pour le spectateur; et il a bien raison, car celui ci représente les noeuds, l'intrigue de la pièce: plus les problèmes se règlent, plus celui ci s'éparpille et devient de moins en moins sinueux. C'est non loin de ce chemin qu'on rencontre deux autres personnages, dont la relation devient plus passionnante que celle des protagonistes eux mêmes.
En effet; deux autres personnages, Lubin et Lisette, sont peint de manière remarquablement modern par Bondy. Lisette est vêtue d'une robe blanche courte et d'une paire de talons aiguilles qui accentue sa jeunesse et sa fraîcheur. La jeune femme se montre pétillante et pleine d'énergie pour servir sa veuve de maîtresse, qui enchaîne lamentation sur lamentation. Elle forme un couple (irrésistible) avec le fameux Lubin, valet du Chevalier. Celui ci est peint à l'image des "titi parisiens": son vélo et son costume débraillé lui donne tout l'air d'un homme du peuple. 
Leur relation nous fascine car elle rejoint les deux rayons de soleil de la pièce; ils volent littéralement la vedette au couple des protagonistes. Ils se montrent émotifs (Lubin extériorise la peine du Chevalier en pleurant à chaude larmes) , incroyablement humains (quand ils sortent vêtus comme des clowns tristes et ivre morts d'une fête) et rusés (le stratagème mis en place pour qu'il puisse être réunit).

             Bondy nous laisse donc perplexe face à sa lecture de la Seconde Surprise de l'amour. Luc, il ne s'agit pas de Bondyr sur le principe de modernité jusqu'à délaisser LE point fondamental de la pièce; à savoir que c'est une comédie, et non une tragédie, comme la mise en scène lui en donne les aspects. Je pense sincèrement que le progrès n'est pas lié à la notion de modernité et qu'il n'y a nul de besoin de s'y soumettre pour briller. Le texte, c'est l'éternel et l'intemporel; et tu t'en détaches malheureusement. Senghor te l'aurait dit:
"Penser et agir par nous même et pour nous même (...) c'est accéder à la modernité sans piétiner notre authenticité."

HABRE Bilah

3 commentaires:

  1. Voilà une critique personnelle vive, intelligente et intéressante ! Très bien !
    Qqs petits détails d'expression à améliorer.
    Fais mieux le lien entre ton texte et la citation finale de Senghor.

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